lundi 9 juin 2014

Passion d'amour (1981)





Ettore Scola:
Résumé:
Au XIX° siècle dans le Piémont italien, Giorgio un jeune et beau capitaine de cavalerie a une liaison avec Clara une belle femme mal mariée. 


Déplacé vers une nouvelle affectation au coeur des Alpes, il est hébergé chez un colonel. A table, il remarque une chaise vide, celle de Fosca, la cousine du colonel une femme laide et malade, toujours recluse dans sa chambre. Il l'entend cependant jouer des airs mélancoliques et surtout crier car Fosca souffre d'hystérie. Par le biais du colonel, il lui expédie des livres qui constituent son seul horizon et ses seuls compagnons. Parce qu'elle est bouleversée par la beauté et la sensibilité de Giorgio qui transparaît dans les livres qu'il lui prête, elle se décide finalement à descendre et à lui montrer son visage. 


La relation est d’abord distante à cause de la répulsion qu’elle lui inspire. Puis en parallèle de sa correspondance suivie et amoureuse avec Clara, il se rapproche progressivement de Fosca.  Quelques disputes rugueuses surviennent mais lorsque Fosca déclare son amour à Giorgio, celui-ci ne reste pas insensible. Étonné, il découvre un sentiment inconnu plus intense que tout ce qu’il a vécu. La maladie s’aggravant, Fosca meurt, le laissant désespéré mais aussi à jamais transformé par cette histoire d’amour extraordinaire.

Analyse: Giorgio et Fosca: un couple profondément subversif
- Fosca, l'antithèse de la jeune fille de bonne famille du XIX° siècle
La jeune fille idéale du XIX° c'est un visage d'ange sur un corps de madone. Au moral, elle doit être douce, soumise et sage. Dans tous les cas, elle doit être belle. Fosca n'est rien de tout cela. "Monstre", "vampire", "ver", "mouche", "tentacules glacés" etc. c'est en ces termes qu'elle est définie par les personnages du film.   Non seulement son humanité est niée mais les créatures auxquelles elle est comparée appartiennent au monde des ténèbres et de la mort. Fosca détonne d'abord par un visage sorti tout droit d'un film d'épouvante, celui du Nosferatu de Murnau en l'occurrence: teint verdâtre, extrême maigreur, début de calvitie, yeux et bouche trop grands, nez trop long. Le corps est à l'image de ce visage: si maigre qu'il est plus proche du squelette que d'autre chose. Mais ce qui anime ce corps malade en est d'autant plus fascinant, plus brûlant. Fosca n'est absolument pas sage, douce et soumise. Son intelligence est acérée, sa sensibilité extrême, son ironie mordante et sa lucidité extrême. Sa révolte s'incarne dans de spectaculaires crises d'hystérie qui la font ressembler au Cri de Munch. Le désir qui s'empare d'elle jusqu'à la consumer entièrement est justement celui d'être une fois au moins dans sa vie pleinement vivante, reconnue et aimée comme une femme par-delà son apparence. Pour vivre cet amour absolu, elle est prête à sacrifier sa vie, déjà chancelante.
- Giorgio, un homme insolite dans son époque et dans son milieu
L'objet de sa passion est à priori tout ce qu'elle n'est pas. Giorgio est au début du film une sorte "d'imbécile heureux": jeune, beau, solaire, fringant. Il est de surcroît passionnément épris d'une jeune femme mariée tout aussi belle que lui et qui l'aime en retour tendrement. Sa rencontre avec Fosca l'obscure va le mettre en contact avec des zones d'ombre en lui qu'il ne connaît pas et qui lui font peur. Car Fosca a repéré deux anomalies en lui: sa beauté et sa sensibilité, deux caractéristiques profondément féminines indésirables chez un homme de ce temps et de ce milieu: "Vous êtes beau et sensible, vous êtes le type d'homme que Fosca pourrait aimer. Malheur à ceux qui naissent avec ce péché originel". En dépit de ses sentiments ambivalents faits de répulsion et d'attraction, Giorgio va subir une telle pression physique et psychologique de la part de la jeune femme qu'il va finir par sortir de sa médiocrité, de sa banalité, de sa vacuité et accéder à une autre dimension, plus riche et plus profonde. Le tout dans l'opprobre ("J'aime Fosca! C'est contre-nature?") et au prix de son identité, de son équilibre, de son bonheur, de sa santé et de sa beauté.

-Eros et Thanatos, sexualité et mort
La seule nuit d'amour entre Fosca et Giorgio met en jeu les peurs les plus enfouies et les plus primitives au sujet de la sexualité. Pour Giorgio, il s'agit de l'achèvement d'un processus de vampirisation qui aboutit à sa totale absorption dans le monde féminin de Fosca. Le lendemain, il fait sa première crise d'hystérie, expression de la répression de la sexualité féminine chez la femme mais désormais aussi chez l'homme. Dans tous les systèmes patriarcaux, les genres doivent rester séparés et la seule sexualité autorisée est la sexualité virile. Du côté de Fosca, sexualité et mort sont indissolublement liés. En effet avant cette nuit-là, la jeune femme n'avait jamais eu de rapports et était donc restée vierge. Et son état de santé lui interdit d'avoir des rapports sexuels. Mais elle passe outre...et meurt. La pénétration vue comme une sorte d'estocade fatale est un vieux fantasme. La Belle au bois dormant déjà se piquait le doigt à un fuseau...et mourrait.